L'affaire était entendue: en quelques jours sinon en quelques heures, la rugissante armée de l'air russe, mieux dotée, plus nombreuse, plus moderne, devait ne faire qu'une bouchée de sa maigrelette voisine ukrainienne.
Il faut croire que nous souffrions d'une légère surdité: trois mois après le début du conflit et dans les airs aussi, l'Ukraine fait mieux que résister et le Kremlin compte ses nombreux aéronefs tombés au combat, y compris les plus modernes comme le Su-34 Fullback qui n'a pas fait exception au désastre général.
Une question peut alors légitimement se poser, comme le fait The War Zone: la Russie emploie-t-elle des Su-57, son avion le plus moderne nommé «Felon» par la nomenclature de l'OTAN, dans le conflit ukrainien? Hormis quelques rumeurs et une vieille et vague vidéo impossible à authentifier, les indices sont plutôt maigres pour accréditer cette thèse.
Ukraine - RuAF Su - 57 bombing in the Zhytomyr region. pic.twitter.com/0iTsvUjMSx
— Nagi N. Najjar (@NagiNajjar) March 10, 2022
«L'utilisation de Su-57 en Ukraine a commencé deux ou trois semaines après le début de l'opération spéciale», a pourtant affirmé une «source de l'industrie de La Défense russe» à l'agence d'État Tass. «L'avion opère en dehors de la zone de destruction active des défenses antiaériennes ennemies, en utilisant des missiles.»
Aéronef ambivalent de cinquième génération, le Su-57 sort à peine de la matrice et n'a été livré qu'au compte-gouttes aux forces aériennes russes. Pourtant, il a déjà connu le feu, ou du moins les missions actives: la participation russe au conflit syrien a été l'occasion de lui faire faire un petit galop d'essai.
Qui va piano
Rien n'indique en revanche que le Kremlin ait pris le risque de perdre un tel atout face à l'Ukraine, qui effectivement dispose de défenses antiaériennes, au sol comme dans les cieux, faisant peser sur le Su-57 un risque bien plus important qu'en Syrie.
Quatre Su-57 sur les soixante-seize commandés ont été livrés pour l'instant au Kremlin. L'utilisation d'un tel avion en phase d'évaluation et, surtout, de commercialisation à l'export, est une arme à double-tranchant.
Outre le coup au moral et la mauvaise publicité, un aéronef perdu derrière les lignes signifierait le gain d'un trésor inespéré pour les états-majors occidentaux, sans doute ravis de mettre la main et de décortiquer comme il se doit la carcasse d'un adversaire si récent.
En revanche, on sait à quel point les conflits armés sont, pour ces rutilantes nouvelles armes, les rares occasions de briller et de prouver leurs capacités opérationnelles, en particulier auprès d'armées étrangères potentiellement désireuses d'en faire l'acquisition.
Le Rafale, qui se vend désormais bien à l'export après des années de vaches maigres, a dû faire ses preuves –être «combat proven»– en Afghanistan, puis au Sahel ou en Libye pour débloquer son compteur de ventes à l'étranger.
Bien qu'il soit supposé furtif, il n'est donc pas impossible que la Russie fasse effectivement usage du Su-57 mais à distance, depuis le territoire national. De là, il peut tirer de nombreux types de projectiles, notamment air-sol, sans pour autant risquer de se faire chatouiller les moustaches par les défenses antiaériennes ukrainiennes.
The Russian MoD released a video of its two Su-57s prototypes (Т-50-9 and Т-50-11) that were in Syria from Feb 21-23, 2018. The MoD said they conducted 10 flights in Syria. https://t.co/TIeRBGh5KH via @YouTube
— Rob Lee (@RALee85) November 19, 2018
Si c'était le cas, et si l'objectif était de prouver la valeur au combat de ce jeune avion, encore faudrait-il que le Kremlin lève un peu du voile qui repose encore sur ce mystère, comme il l'avait fait a posteriori après l'implication du Su-57 en Syrie. Wait and see, donc.