Les fuites du Pentagone ne cessent de révéler de nouveaux aspects jusqu'alors inconnus de la guerre en Ukraine. Le Washington Post, qui s'est particulièrement penché sur ces documents, explique ainsi que selon ces derniers, la Russie testerait un système destiné à brouiller l'internet mis à disposition de l'Ukraine par le réseau satellitaire Starlink de SpaceX.
Celui-ci est rapidement devenu crucial pour les populations civiles ukrainiennes, auxquelles il garantit une connexion au réseau des réseaux malgré les attaques russes. Mais au grand dam d'Elon Musk, Starlink est également –voire surtout– vital aux troupes de Kiev, leur permettant une action technologique (les drones) et la coordination d'une action en réseau (la plateforme logicielle Delta).
C'est donc une cible de choix pour Moscou, qui, depuis des mois, semble plancher sur une arme permettant de brouiller les communications du réseau satellitaire –vingt-cinq jours de tests auraient déjà eu lieu en septembre 2022. Nommé «Tobol», selon les documents consultés par le quotidien américain, cet outil de guerre électronique aurait initialement été conçu pour protéger les communications des satellites russes, avant de voir son usage détourné dans un but beaucoup plus offensif.
Datant de mars 2023, le document ne dit pas si les Russes ont continué à mettre Tobol au travail contre les communications ukrainiennes après les tests initiaux, ce qui pourrait très largement compliquer la tâche des armées de Kiev et de leur commandement à quelques encablures d'une attaque très attendue.
Des dysfonctionnements ont plusieurs fois et dans divers endroits été rapportés par les forces ukrainiennes, notamment lors de leur contre-offensive de l'été et de l'automne dernier. Elon Musk avait alors été accusé de couper le service dans certaines régions ukrainiennes disputées par la Russie, ce qui avait poussé Kiev à chercher d'autres solutions techniques et fournisseurs éventuels, afin de ne pas dépendre que d'un unique réseau.
Mais il est donc possible que ces coupures soient l'œuvre des Russes et de ce système Tobol, le Washington Post notant que d'autres outils de guerre électronique déployés sur le terrain, comme le Borissoglebsk 2, ont également pu jouer un rôle dans ces dysfonctionnements.
Le Pentagone n'a pas souhaité commenter, se bornant à expliquer que «les communications sont un aspect très important des opérations ukrainiennes» et que les États-Unis travaillent dur pour qu'elles ne soient pas interrompues. Porte-parole du ministère ukrainien de la Défense, Kostiantyn Zhura a en revanche expliqué que ses supérieurs étaient conscients des efforts russes en la matière, mais qu'ils mettaient en place «des mesures afin de les neutraliser».
Brouillez-vous!
Selon les analystes, il existerait sept stations liées au système Tobol sur le sol russe, toutes situées à proximité immédiate de lieux dédiés au guidage des satellites du pays. Trois auraient pu être mises à contribution pour contrer les communications ukrainiennes, l'une dans l'enclave de Kaliningrad, l'autre près de Moscou et la troisième en Crimée occupée.
A priori, et ainsi que le détaille le Washington Post, Tobol (ou Tobol-1, comme il est nommé dans les documents du Pentagone) a été conçu pour brouiller les communications entre un ou des satellites et le ou les receveurs au sol, peut-être en ajoutant un signal parasite à celui en cours de transmission.
«La documentation dont nous disposons parle d'un système défensif, Tobol étant utilisé pour détecter les tentatives de brouillage des satellites russes», précise Brian Weeden, du Secure World Foundation, qui suit de près ce programme vieux d'une dizaine d'année. «Il analyserait ces signaux et interférences, puis diffuserait un contre-signal destiné à contrer ces interférences.» Et si l'on est capable de faire cela, on est probablement capable de le faire de manière offensive contre des satellites ennemis, ajoute-t-il.
Autre spécialiste en la matière, le Belge Bart Hendrickx estime en revanche que la nature même de Starlink –une constellation de petits satellites en orbite basse– complique sans doute ces tâches de détection et de brouillage. Elles ne sont pas impossibles pour autant, et peuvent peser lourd dans la balance finale du conflit.