Le 23 mai dernier, des hackers sont parvenus à entrer dans le système informatique de Perceptics, une entreprise de surveillance basée dans le Tennessee et spécialisée dans les caméras liseuses de plaques d'immatriculation. Les pirates ont rendu publiques des documents internes.
Le gouvernement américain est l'un des principaux clients de Perceptics, dont les caméras surveillent la frontière mexicaine et certaines installations de l'armée. Mais les documents piratés indiquent que ses ambitions vont désormais au-delà de l'utilisation militaire, et laissent présager ce que pourrait être la ville de demain.
Des documents internes analysés par The Intercept montrent que Perceptics s'apprêtait à présenter sa technologie à la Metropolitan Transportation Authority (MTA) de New York. Entreprise privée gérant les transports publics de la ville, la MTA a été chargée, pour l'horizon 2021, de mettre en place un péage urbain dans le sud de Manhattan.
La démarche pourrait sembler plutôt inoffensive: les caméras détectent les voitures présentes dans la zone payante, prennent en photo la plaque d'immatriculation puis envoient la facture à l'automobiliste, dont le paiement servira à financer les transports en commun. Un dispositif finalement assez semblable à un radar classique.
La ville peut estimer où vous allez
Seulement, et c'est justement l'argument de vente de Perceptics, leurs caméras sont bien plus que de simples radars. Dans sa présentation, la société de surveillance explique que la technologie qu'elle est en mesure de fournir permet de «créer des profils individuels pour chaque véhicule», en utilisant «des algorithmes uniques de machine learning».
Ainsi, la MTA pourrait disposer de l'historique des trajets de n'importe quel véhicule ayant roulé dans la zone surveillée. Alors que cette possibilité semble déjà outrepasser ce qui est nécéssaire pour un péage urbain, Perceptics ne s'arrête pas là.
Ses algorithmes sont aussi capables de déterminer les «schémas récurrents et l'homogénéité des trajet de chaque véhicule», ainsi que d'estimer le nombre de personnes se trouvant à bord de celui-ci. La conséquence logique est qu'ils peuvent également calculer «le point d'arrivée probable d'un parcours» alors qu'il est encore en cours.
Concrètement, cela voudrait dire que si vous montez dans votre voiture dans la zone surveillée, la ville peut estimer où vous allez avant même que vous n'arriviez à destination. Elle peut aussi prédire où vous serez à telle ou telle heure de la journée, en s'appuyant sur vos trajets antérieurs.
Puisqu'une plaque d'immatriculation est reliée à un nom, il devient très facile de savoir «où une personne habite, où elle travaille, où elle prie, où elle va à l'école», explique Ángel Díaz, membre du Brennan Center for Justice, un institut de droit universitaire dédié à la protection des droits civils.
Espions en uniforme
Il est quasiment impossible d'échaper au système, car le profil d'un véhicule, son UVID (Unique vehicle identification), n'est pas uniquement déterminé par sa plaque d'immatriculation. Les caméras de Perceptics peuvent se baser sur une plaque incomplète ou cachée, grâce aux «attributs uniques» du véhicule.
Ce qui inquiète Díaz et d'autres militant·es de défense des droits civils, c'est qu'un tel amas de données ne peut qu'attirer les convoitises. Or, entre espionnages de militant·es politiques, minorités religieuses sous surveillance, flotte d'hélicoptères espions et agent·es posté·es à l'étranger, la police de New York (NYPD) s'est au fil du temps taillée une sérieuse réputation de quasi-agence de renseignements.
La MTA a assuré ne pas avoir encore pris de décision définitive quant au fournisseur de l'équipement qui sera mis en place en 2021. Mais si Perceptics remporte l'appel d'offres, difficile de ne pas imaginer une force de police adepte de barbouzeries en tout genre, voire une force tout à fait externe à la ville, essayer de se pencher sur un système aussi perfectionné. On serait alors bien loin du simple péage urbain.