«Dans un an», promettait Elon Musk en avril dernier, «nous aurons des millions de voitures avec conduite autonome, logiciel autonome, tout». Il a même affirmé lors d'une interview avec The Verge que Tesla aurait fabriqué et mis en service un million de véhicules autonomes d'ici fin 2020. Le tout avec un niveau 5 d'automatisation, le plus haut niveau –c'est-à-dire que les voitures pourraient voyager partout, dans n'importe quelle condition, sans être humain derrière le volant.
Un futur de rêve
Comme avec la plupart des promesses d'Elon Musk, l'idée a de quoi faire rêver. Vous vous imaginez à l'arrière de la voiture, toute votre attention portée sur un podcast ou un jeu vidéo voire, pourquoi pas, vous livrant à quelque activité sexuelle.
Le véhicule vous dépose au travail, puis passe chercher vos courses, va se recharger. Il dépose le fils du voisin –il a réservé grâce à une application de partage– au sport. À 18 heures, il vous attend après une longue journée de travail pour vous conduire à la maison.
Il y a néanmoins un problème avec ces promesses d'avenir brillant: Elon Musk ne cesse de revenir dessus, surtout lorsqu'elles concernent Tesla. La voiture autonome pourrait encore nécessiter quelques années voire décennies de recherche et développement avant d'être mature –et sécurisée– pour le marché.
Encore de la science-fiction
Car le défi technologique que représente la voiture autonome est «très, très dur», selon les mots de John Krafcik, directeur général de Waymo, l'une des entreprises subsidiaires d'Alphabet, la maison mère de Google.
Dans un article du Wall Street Journal, il affirme même que les voitures autonomes ne seront peut-être jamais capables de conduire dans toutes les conditions météorologiques.
À l'heure actuelle, Waymo est peut-être l'entreprise qui comprend le mieux l'ampleur de la tâche qui l'attend. Cela fait dix ans que Google travaille intensément sur la voiture autonome et le géant de la Silicon Valley a toujours visé le niveau 5 –ou rien.
«Plus une voiture est partiellement automatisée, moins le conducteur est attentif», expliquait en 2017 Larry Page, PDG de Google. «Si une situation exceptionnelle se manifeste, et que l'automatisation partielle a besoin d'aide, le conducteur pourrait ne pas venir en aide à la machine suffisamment vite et suffisamment bien. Puisqu'une voiture partiellement automatisée ne va “appeler à l'aide” que dans des circonstances exceptionnelles, les dégâts pour la voiture, le conducteur et –moins important mais tout de même à prendre en compte– la réputation du fabricant seront proportionnellement extraordinaires.»
L'une des entreprises les plus impliquées dans cette course à la voiture autonome, Uber, en a justement fait les frais l'année dernière lorsque l'une de ses voitures sans conducteur a tué une piétonne à Tempe en Arizona.
Dès 2016, rappelle Fast Company, Uber a commencé à promettre 13.000 voitures autonomes en 2019 –et a augmenté ce chiffre à 75.000 quatre mois plus tard. Uber a également avancé que l'assistance des conducteurs ne serait plus nécessaire en 2020 et que des dizaines de milliers de taxis Uber seraient présents dans treize grandes villes dès 2022.
Nous sommes en 2019, et Uber n'a absolument pas respecté ses prévisions. L'entreprise de VTC ne croyait même pas à leur potentiel: Eric Meyhofer, directeur chez Uber du Advanced Technologies Group les décrivait déjà comme des «scénarios hypothétiques» lors d'un procès pour espionnage industriel avec Waymo en 2017.
Face à cette mauvaise publicité, Uber est revenu à un discours un peu plus conservateur que les bravades muskiennes. En avril, le patron de l'entreprise, Dara Khosrowshahi a annoncé qu'il faudrait attendre «quelques années» après 2020 pour voir des voitures autonomes –avec un «chauffeur de sécurité»– s'emparer de nos routes. En juillet, lors d'une rencontre à l'Economic Club à Washington, il parlait de quinze ans ou plus pour une autonomie totale.
Embouteillages infinis
La technique est loin d'être le seul obstacle. «Dans le cas des voitures autonomes, les questions techniques vont être résolues. C'est la partie société qui va être la plus difficile à gérer», explique au New York Times Mark Rosekind, directeur de l'innovation pour la sécurité chez Zoox, un développeur de véhicules autonomes.
Car avant d'entrer dans un futur (encore hypothétique) dans lequel toutes les voitures seront complètement autonomes, les villes vont devoir passer par un entre-deux aux variables infinies.
Entre les véhicules manuels, les véhicules automatiques et les véhicules partiellement autonomes, l'embrouillamini s'annonce déjà. «Que va-t-il se passer [lorsqu'un véhicule manuel et un véhicule autonome] approcheront un feu orange et que la voiture autonome ralentira alors que le conducteur du véhicule manuel voudra accélérer?», demande Mark Rosekind.
«Dès le départ, il existe un potentiel pour un conflit.» Et les voitures ne sont pas le seul problème. Dans des villes où les gens traversent sans prêter attention aux feux rouges (de Paris à Manhattan en passant par Hanoï), le trafic pourrait être complètement bouché –une voiture autonome s'arrête toujours devant un piéton.
Les promesses démesurées de Tesla et Uber sont un pari marketing dangereux et pourraient bien avoir compromis l'éducation du public aux voitures autonomes.
Même si ces dernières sont encore loin d'être prêtes, continuer d'investir dans leur technologie représente un enjeu vital: l'erreur humaine est la raison derrière 94% des accidents routiers et on estime que 1,35 million de personnes sont tuées chaque année sur les routes dans le monde.