«On a décidé de s'installer en haut de la tour Montparnasse, parce que c'est un bon endroit pour réfléchir à la ville de demain.» Au 53ème étage, les bureaux de Woodoo offrent effectivement une vue imprenable sur Paris. On y trouve plusieurs prototypes, notamment un panneau de contrôle pour voiture, permettant de régler la ventilation ou l'inclinaison des sièges, dont l'interface tactile s'affiche sur du bois.
Timothée Boitouzet, trente-trois ans, architecte de formation, crée l'entreprise en 2016, après plusieurs années passées dans de grands cabinets d'architectes. Passionné par la question des matériaux, il séjourne notamment au Japon où il s'amourache pour le bois. Il commence alors à réfléchir à un moyen de le substituer au béton dans la construction, dans une perspective éco-responsable.
«Le béton est une catastrophe environnementale, mais le bois conventionnel affiche de faibles performances: grosso modo, ça brûle, ça pourrit et ça casse. Il a donc souhaité explorer la structure moléculaire du bois, pour l'améliorer», explique Olivier Grange, senior vice-président en charge du marketing et de la communication.
Un bois amélioré aux propriétés inattendues
En 2015, Timothée Boitouzet obtient une bourse de recherche pour étudier deux ans au Media Lab du MIT. Il explore ainsi les propriétés du bois: le matériau est composé à 60% d'air, ce qui explique qu'il brûle facilement et que certains insectes viennent volontiers y nicher. Il développe ensuite un procédé qu'il fait protéger au travers d'une quinzaine de brevets.
«On enlève la lignine, qui joue le rôle de colle entre les fibre de bois. Puis on remplit les micro-cavités du matériau avec une résine biosourcée. Ainsi on renforce structurellement le bois: il devient trois à quatre fois plus résistant au feu, à l'humidité, au grisaillement. On obtient un matériau aux propriétés supérieures», poursuit-il.
Mais ce n'est pas tout. L'équipe de Woodoo découvre que le bois ainsi transformé développe d'autres propriétés tout aussi intéressantes. D'abord, il devient translucide. Ensuite, il conduit le courant électrique. Il est donc possible de l'utiliser comme un écran tactile, sur lequel on peut afficher des images et actionner des boutons.
La beauté d'un bois translucide. | ©Woodoo / meConvention, 2018
«Cela nous a permis d'aborder certains marchés très rapidement. Concernant la construction, nous avons encore cinq ou six ans de R&D devant nous, sans parler des homologations. Mais l'industrie automobile (Daimler/Mercedes) et aéronautique (Safran) nous a très vite sollicités pour faire des "écrans tactiles" en bois», explique le vice-président.
Ces industries recherchent notamment ce que l'on appelle «l'effet black panel». Cela consiste à faire apparaître des images et des boutons tactiles sur une surface existante: un tableau de bord, un accoudoir...
Lorsque l'on n'a plus besoin d'afficher quelque chose, au lieu de se retrouver avec un écran tactile éteint, la surface retrouve son aspect initial. Si Woodoo a créé des prototypes à titre de démonstration, son coeur de métier consiste à fournir le matériau de base –le bois amélioré– aux constructeurs.
De l'investissement à la rentabilité
Pendant deux ans, Woodoo n'a pas eu besoin d'actionnaires. L'entreprise a remporté pas moins de trente-trois prix d'innovation, émanant d'institutions publiques (MIT, BPI France, ministères, Commission européenne...) et d'acteurs privés (LVMH, EDF Pulse...), engrangeant plusieurs millions d'euros. Mais depuis quelques mois, l'entreprise a entamé une levée de fonds composite afin de poursuivre ses investissements.
Afficher une interface tactile sur un panneau de commande en bois, comme avec ce prototype conçu par la start-up | ©Woodoo, 2020
«On a eu la chance d'avoir une technologie de rupture dont le potentiel a été compris par beaucoup d'industries. Nous avons passé deux ans à faire de la R&D et des prototypes, mais nous souhaitons désormais accélérer la production. On devrait bientôt atteindre plusieurs milliers de mètres carrés de matériau», anticipe Olivier Grange.
La commercialisation du matériau pour la construction ne se fera pas avant plusieurs années, en raison des multiples contraintes techniques et réglementaires. Or, l'entreprise ne peut pas se permettre de fonctionner à perte d'ici là. La vente de bois modifié pour l'industrie automobile et aéronautique devrait permettre à l'entreprise de commencer à générer du chiffre d'affaires.
«C'est quand on pourra fabriquer pour le secteur de la construction qu'on pourra faire un vrai changement pour la planète. Un mètre cube de béton génère 900 mètres cubes de CO2. Notre processus de fabrication est dix fois moins polluant, il permet même de capter du carbone», détaille-t-il.
La construction en ligne de mire
D'ici là, l'entreprise doit relever plusieurs défis. Premièrement, conserver son avance. Si la technologie de Woodoo est protégée par quinze brevets, d'autres entreprises ont flairé le potentiel d'un tel matériau et cherchent à développer leur propre version. Ensuite, perfectionner ses processus pour obtenir un matériau aisément utilisable dans la construction –un processus long, complexe et coûteux.
«On doit jongler entre les multiples contraintes que l'on souhaite imposer au matériau: l'aspect et l'odeur du bois, la résistance mécanique, la résistance à la déformation, au feu... On cherche aussi à trouver les meilleures résines biosourcées et on travaille en parallèle sur la fin de vie du matériau; le recyclage suppose de pouvoir séparer la résine et le bois», détaille le vice-président.
À terme, les architectes pourrons imaginer des tours entièrement faites de bois, comme ici à New York. | ©Woodoo, 2018
Woodoo a installé son usine à Troyes, près de forêts homologuées FSC (Forest Stewardship Council, label garantissant une gestion durable des ressources) qui lui fournissent une quarantaine d'essences différentes.
À terme, elle pourrait franchiser d'autres sites de production dans une configuration similaire, par exemple en Allemagne, en Suède ou au Canada. L'entreprise emploie actuellement cinq personnes dans son usine de Troyes, huit personnes en R&D et sept sur les opérations.
«La déforestation est un vrai problème dans certains pays. Mais en France notamment, on a beaucoup de bois qui n'est pas utilisé, dans des forêts durablement gérées, labellisées PEFC ou FSC. La filière est sinistrée alors que le charme, le tremble le hêtre peuvent être valorisés. Si on coupe le bois jeune et qu'on lui trouve des débouchés, on peut replanter et piéger davantage de carbone», conclut Olivier Grange.
La fin du béton et la renaissance d'un secteur forestier durable seraient-elles à portée de main?
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