D'ordinaire, les chauves-souris n'ont pas bonne presse. Mais dans le domaine viticole de Nadine et Franck Renouard, situé en Camargue, on souhaitait en voir plus souvent. «Ici, des papillons viennent pondre leurs œufs sur nos grappes de raisins, ce qui ravage les vignes. Or, nous produisons du vin bio donc il n'était pas question d'utiliser des pesticides. Il nous fallait donc trouver une solution respectueuse de l'environnement et nous avons décidé de réintroduire des chauves-souris. Ce sont des prédateurs pour les larves de ces papillons.»
Les propriétaires contactent un ornithologue qui leur décrit le type d'environnement convenant le mieux aux chiroptères. «Les chauves-souris cherchent des cavités dans les vieux murs, des endroits rugueux pour pouvoir s'accrocher», précise Franck Renouard qui décide alors de faire construire une sorte d'arbre creux en béton, spécialement conçu pour qu'elles puissent s'y nicher.
La mission est confiée à l'entreprise XtreeE qui, à l'aide de son imprimante 3D, peut imprimer des formes complexes reproduisant un habitat pour chauves-souris.
Un arbre modulable
«Nous avons travaillé directement avec l'ornithologue pour définir les hauteurs, les formes des espaces intérieurs, les entrées, etc. Il nous a par exemple expliqué que la structure devait être bâtie à plus d'un mètre et demi du sol afin que les prédateurs ne puissent pas y monter», relate Alban Mallet, président de la start-up XtreeE.
En tenant compte des recommandations du spécialiste, il dessine trois types de modules, chacun présentant un aspect interne différent: l'un est destiné aux petites chauves-souris, l'autre aux plus grandes et le troisième permet d'abriter des oiseaux.
En parallèle, son équipe travaille sur l'apparence extérieure de cet arbre à chauves-souris. «On nous avait précisé qu'il fallait créer un objet qui s'intégrerait bien dans le paysage viticole.» Le propriétaire du domaine et les architectes optent pour une forme imitant celle d'un arbre longiligne. Une fois l'ensemble fabriqué grâce à l'imprimante, les modules de béton sont transportés de l'usine de Rungis jusqu'au domaine de la famille Renouard puis montés sur place.
Notre technologie permet aujourd'hui de créer des objets adaptés à des besoins particuliers, sur mesure et à moindre coût.
Depuis, Alban Mallet a gardé les plans de l'intérieur des modules qu'il avait élaborés pour ce projet: «On pourra peut-être les réutiliser un jour pour fabriquer d'autres nids à chauves-souris, tout en les insérant dans d'autres types de structure externe conformes aux goûts de nos futurs clients. C'est tout l'intérêt du 3D: pouvoir changer de design facilement.»
Un exemple des formes que la technologie de XtreeE crée. | Thomas Samson / AFP
Au-delà de l'esthétique, l'impression 3D rend surtout possible la production de formes très précises que la construction classique ne parviendrait pas à réaliser. «Notre technologie permet aujourd'hui de créer des objets adaptés à des besoins particuliers, sur mesure et à moindre coût, assure Alban Mallet. Dès qu'il s'agit de faire des courbes ou des formes optimisées, nous sommes beaucoup plus rapides et moins chers que la construction classique.»
Économie et environnement
À ces bénéfices s'ajoute l'argument écologique. «Nous utilisons la juste quantité de béton nécessaire à la fabrication. Les formes complexes que nous produisons donnent une plus grande résistance aux pièces par rapport à la construction classique, qui doit utiliser un maximum de matière pour fortifier l'ensemble.»
La start-up a d'ailleurs plusieurs projets écologiques à son actif. Spécialisée dans le génie écologique appliqué aux milieux aquatiques, l'entreprise française Seaboost lui a commandé la production de trente-deux récifs il y a quelques mois. Le but? Offrir aux poissons de nouveaux lieux pour nicher et se reproduire au large du Cap d'Agde.
Là encore, l'entreprise a dû travailler avec un spécialiste. «On nous expliquait où placer les alvéoles, les cavités. Il fallait des espaces plus ou moins larges pour que toutes les espèces de poissons y trouvent leur compte. Nous avons également utilisé un masque en réalité virtuelle. L'ingénieur biomarin qui collaborait avec nous l'utilisait pour analyser la pièce et nous indiquait s'il fallait retravailler la taille d'une alvéole ou sa forme. C'était la première fois qu'on travaillait avec ce type de dispositif.»
Une fois la partie conception achevée, il a fallu prendre en compte un détail supplémentaire. «Au centre de chaque récif, il y a une cavité permettant d'y couler du béton et de constituer ensuite un socle de façon classique. Cela permet d'apporter un poids supplémentaire aux récifs car ils sont aussi utilisés comme ancres de mouillage par les bateaux. Au total, chaque pièce pèse 1.400 kilos, socle compris.»
Un marché voué à se développer
Pour fabriquer ces trente-deux récifs, la start-up aura eu besoin d'un mois, réalisant au passage la plus grosse production industrielle de récifs artificiels 3D au monde. «Nous avons de la concurrence mais le marché de l'impression 3D bénéficie aujourd'hui de tellement de débouchés qu'on ne risque pas de se marcher dessus. Et nous avons la chance d'être très précis au niveau du détail de l'impression par rapport à d'autres entreprises, ça fait la différence.»
On entend souvent dire que c'est un procédé qu'on utilisera demain, comme s'il n'était pas encore vraiment possible d'imprimer en 3D. Or, ça fonctionne parfaitement aujourd'hui.
Cette précision, XtreeE la doit à la technologie qu'elle a développée en interne lors de sa création, comme l'explique Mathieu Hercé, responsable de production. «Nous disposons d'un système qui fait en sorte que le béton se fige plus vite lorsqu'il sort. Ça permet à notre robot de tracer des lignes plus fines et précises tout en accélérant la prise de la matière.»
Forte de cette spécificité, la start-up estime désormais qu'il est temps de proposer cette technologie à d'autres, afin d'accroître l'importance de l'impression 3D. «On entend souvent dire que c'est un procédé qu'on utilisera demain, comme s'il n'était pas encore vraiment possible d'imprimer en 3D. Or, ça fonctionne parfaitement aujourd'hui.»
Concrètement, ça ressemble à ça. | Thomas Samson / AFP
Le message semble être passé auprès d'un certain nombre de personnes puisqu'en 2018, après trois ans d'existence, XtreeE faisait déjà un million d'euros de chiffre d'affaires. «En 2019, on pourrait dépasser ce montant», avance son directeur.
À la conquête du monde
Depuis peu, une usine utilisant la technologie XtreeE a par ailleurs ouvert à Dubaï, et les dirigeants de la société comptent bien poursuivre dans cette lancée. «Notre objectif, c'est de créer un réseau mondial d'imprimeurs 3D qui utilisent notre technologie. Le jour où chaque région du monde aura les moyens d'utiliser l'impression 3D, cela réduira considérablement la consommation de béton et le transport d'éléments pondéreux à l'échelle planétaire.»
Le moment viendra où tout le monde se rendra compte que cette technologie offre des possibilités infinies et tout particulièrement en termes d'économie de matière.
Pour parvenir à ses fins, l'entreprise joue à fond la carte de la communication et forme les professionnel·les de la construction à sa technologie. «Nous organisons des workshops, nous allons dans les écoles, participons à des conférences», énumère Alban Mallet.
«À terme, il faut qu'on devienne un élément inhérent au système de construction classique. L'impression 3D lui est complémentaire et elle devient indispensable dès qu'il s'agit de créer des formes complexes. Le moment viendra où tout le monde se rendra compte que cette technologie offre des possibilités infinies et tout particulièrement en termes d'économie de matière.»