Sous une autre forme que les protestations des «gilets jaunes», à une toute autre échelle et avec des conséquences bien plus périlleuses, le peuple zimbabwéen se soulève lui aussi pour protester contre ses conditions de vie déplorables, rendues plus difficiles encore par une récente hausse de 150% du prix du carburant.
Répression extrême
Une vague d’espoir avait suivi le coup d’état ayant sonné le glas du mandat de l’indéboulonnable Robert Mugabe fin 2017, avant les élections contestées de 2018. Cette onde, de courte durée, a vite fait de se fracasser au contact de la dure réalité qu'éprouve une population soumise à la répression: le parti de Mugabe, Zanu-PF, aussi vénérable qu’autoritaire, a réussi à s’accrocher au pouvoir en la personne présidentielle d’Emmerson «Crocodile» Mnangagwa et le pays a replongé dans une crise économique et sociale d'une telle violence qu'elle rappelle les terribles bouleversements des années 2000.
La répression d'état s'abat sans limite sur sa population: des centaines de personnes ont été arrêtées la semaine dernière par l’armée. Amnesty International a décompté huit morts et l’Association of Doctors for Human Rights soixante-dix-huit blessés par balle. «Civils tués à bout portant, répression par l'armée au grand jour, internet bloqué: le président Emmerson Mnangagwa, qui avait promis un “nouveau Zimbabwe”, recourt aux méthodes de son prédécesseur Robert Mugabe mais en plus “extrême”, selon des experts», détaille ainsi Slate Afrique via l'AFP.
L'AFP, à l'instar de Quartz, note au passage cette grande nouveauté par rapport aux années 2000: comme ailleurs, la plupart des protestations s’organise désormais via les réseaux sociaux, dans un pays ou WhatsApp représente près de la moitié du traffic total de données et où l’internet est mobile à 98%.
Couvre-feu numérique
Puisque le peuple zimbabwéen utilise internet et les réseaux sociaux pour mobiliser et donner forme, dans les rues, à sa colère, la solution trouvée par le gouvernement de Mnangagwa semblait tomber sous le sens: exiger des opérateurs locaux qu’ils coupent l’accès au réseau dans le pays entier. Une tactique déjà utilisée en 2016 sous l’ère Mugabe –à la différence près que, cette fois, les réseaux privés virtuels (VPN) n'ont été d'aucune aide pour les militants désireux de contourner le pare-feu.
#Zimbabwe has just experienced its first total #InternetShutdown. The country's 3MNOs & ISPs have no access. No explanation has been given by either the service providers or govt #ZimbabweShutDown cc @accessnow @CPJAfrica @OSISA @kubatana @unescoROSA @guyberger @forfreemedia
— MISAZimbabwe (@misazimbabwe) 15 janvier 2019
Fondateur d’Econet (53.1% du marché zimbabwéen) et accessoirement milliardaire, Strive Masiyiwa a expliqué sur sa page Facebook sa décision de se plier, sans broncher, aux exigences gouvernementales –comme il l’avait déjà fait en réponse à des demandes similaires de la part des autorités du Soudan ou de la République démocratique du Congo (RDC). «Puisqu’il s’agissait d’une directive écrite selon les termes de la loi, ne pas la suivre aurait signifié l’emprisonnement immédiat du personnel sur le terrain», a-t-il ainsi écrit.
Les choses sont depuis revenues à la «normale» et le réseau a été rebranché. Mais le cœur du problème réside dans cette faiblesse des fournisseurs d’accès face au pouvoir. Même ultra-autoritaire, le Zimbabwe s'est constitué suivant le modèle d’état de droit: avant l'éventuelle intervention de la justice, ses gouvernants peuvent activer dans l'urgence le levier de la loi et s'appuyer sur l'absence de résistance des acteurs du marché pour imposer un couvre-feu numérique. Et, en l'occurence, réprimer, enfermer et tuer en créant les conditions propres à faire taire les témoignages dorénavant courant que permettent les réseaux sociaux.
Au Vénézuela aussi?
La gravité de cette situation n'est pas réservée à l’Afrique: rien n'est jamais acquis et internet, force est de le constater, n'échappe pas à la règle. L'ONG Netblocks, qui travaille sur les questions de droits numériques, de gouvernance de l'Internet et de cyber-sécurité, a ainsi émis des alertes ces derniers jours au sujet du Vénézuéla, pris dans une tourmente sociale et politique avec le récent renversement de Nicolás Maduro par le président du Parlement du pays, Juan Guaido.
Confirmed: Major Internet disruptions in #Venezuela amid protests; YouTube, Google search and social media knocked largely offline #KeepItOnhttps://t.co/ZMKgc4SU81 pic.twitter.com/XqXZStWQcG
— NetBlocks.org (@netblocks) 23 janvier 2019
Netblocks a ainsi détecté des «perturbations majeures», affectant YouTube, Google et les principaux réseaux sociaux, Facebook ou Instagram en tête. Les restrictions, explique l'organisme, ont été constatées en analysant le trafic du fournisseur d'état CANTV 20.000 fois ces dernières 24 heures.
Netblocks admet que les raisons de tels blocages ne peuvent être clairement établies, mais qu'ils ressemblent trait pour trait à de précédents incidents ayant touché les internautes du pays, en pleine tourmente, depuis début janvier. Difficile d'y voir la main du hasard.